Dégustation

DEGUSTATION

 

  

 

               Inutile d’arriver dès le début et de passer pour d’impatients gloutons ; mais ne tardons pas trop tout de même. En cette saison où les soirées commencent à s’allonger lascivement, baignées de teintes aux chatoiements dorées et tièdes d’un soleil bientôt mûr, quoi de plus agréable que de se rendre par une petite route aux nombreux et inattendus virages, respectueux des multiples et vieilles pièces de terre, vers un château célèbre, non par ses tours et ses murailles, ni par les assauts repoussés d’un ennemi grossier et destructeur, mais par ses fûts et ses bouteilles prêts à accueillir courtoisement ses connaisseurs autant variés que fidèles, tous lancés dans une quête de subtils et goûteux plaisirs, et tous bien résignés, aussi, à être délestés de quelque monnaie point très menue ? Dans les vignes, bien taillées, poussent déjà une multitude de bourgeons et de feuilles. Le ciel, savant dosage d’averses dispersées et lointaines et de rayons au lent mais inéluctables déclin, masqué parfois par un nuage auréolé de gloires, pose son somptueux décor, tel un présage favorable.

 

               Nous ne pénétrons pas dans les ruelles étroites et pentues de la séculaire cité, si mal entretenue, d’ailleurs, où d’étranges langages, tout au long de l’année, résonnent sur les pierres érodées et moussues ; nous poursuivons encore un court moment et nous garons. L’herbe est un peu mouillée ; l’air tiède près des murs fraîchira vite ; l’horizon, fragile dans cette humidité ensoleillée, s’offre à notre regard le temps de nous rendre vers l’entrée du château. Les graviers crissent sous nos pas et ceux d’autres arrivants. Une petite flèche indique la porte de la salle aux délices.


 

               À l’intérieur, quelques dizaines de personnes ; mais l’on en attend bien plus. Un petit dépliant pour informer les novices sur les qualités et spécificités des terroirs et des vins présentés. Propriétaire et maître de chais ne sont pas encore là ; ce n’est pas grave. Quelques bavardages avec des  connaissances déjà sur le chemin de la découverte, puis, approche sans détour des premières bouteilles. Un sommelier, ou, du moins, un employé confirmé du château, présente en quelques mots justes et incitateurs, ce premier vin blanc sec d’un  domaine, non loin d’ici, dans l’Entre-Deux-Mers : issu de la dernière récolte, sa jeunesse et sa simplicité n’en dévoilent  pas moins un agréable goût au fruité vif et acidulé. Un vrai spécialiste vous énumérerait les arômes exquis et mélangés : herbacés pour le cépage Sauvignon ; citronnés pour le Chardonnay… L’on resterait des heures à  démêler une infinité de molécules olfactives et gustatives dans un seul verre, mais révélées par un nécessaire érudit.

 

               J’aime à regarder sa jolie robe, humer une première fois son parfum,  faire,  un bref instant, avec légèreté, tourner ce vin dans mon verre en forme de tulipe sans qu’il ne déborde par un geste maladroit sur ma main ou sur mon sérieux voisin et en respirer  ses  effluves qui s’exhalent sublimement ; j’aime à y tremper avec précaution mes lèvres puis l’aspirer avec douceur pour qu’il recouvre les papilles de ma langue curieuse et en imprègne pleinement mon palais, afin de percer quelques uns de ces mystères ; j’aime, ensuite et tout d’un coup, le faire tourbillonner et saisir cette explosion de nouveaux arôme dévoilés qui descendent  alors au fond  de ma gorge et puis se vaporisent vers l’intérieur du nez ; enfin, et malgré les quelques récipients disposés de-ci de-là pour recracher, j’avale une gorgée et m’essaye à une évaluation de ses caudalies ; dans le doute, je complète par quelques autres gorgées…

 

               Quelques toasts (pas plus) à base de truite fumée, des soufflés au saumon… donnent une seconde vigueur à ce premier vin. Il est bien entendu que dans une dégustation l’on ne peut aller que du déjà bon au suprêmement divin. D’où une grande réserve à adopter dès le début afin de profiter, dans une heureuse plénitude, d’un aboutissement espéré que l’on sait  programmé.

 

               Lors de l’étape suivante, la couleur devient plus conforme à l’attente : rubis (plutôt que rouge…). Pas mal non plus, mais l’on sent que ce n’est pas encore la production du château où nous sommes aujourd’hui, mais toujours d’une autre propriété. Passons sur les caractères des cépages Cabernet-Franc, Merlot et autres, aux fins arômes de réglisse et de framboise. C’est un bon vin, aux vignes encore un peu éloignées, d’une appellation satellite. Une fois recommencé le cérémonial de la prise de contact je pioche quelques charcuteries : fines tranches de jambon de pays découpées au fur et à mesure, saucisse sèche vraiment sèche mais pas  coriaces, boudins pour une fois épicés (pas pimentés…) subtilement et autres petites friandises accompagnées d’un bon pain de campagne.

 

               Peu à peu, les crûs que nous dégustons gagnent en qualité et en notoriété. Puis, c’est celui du château, mais de la dernière vendange : même d’une jeunesse frôlant la petite enfance, un premier grand crû classé est fameux. L’on perçoit les qualités à venir.

 

             Nous nous dirigeons vers quelques grillades en accompagnement d’une année un peu plus ancienne.         

 

               À l’autre bout de la salle, où j’étais tout à l’heure, un groupe est arrivé : je préfère avoir pris suffisamment d’avance dans mon parcours, car déguster, échanger quelques impressions, doivent s’effectuer, même pour un néophyte, à mon avis, dans un environnement assez calme.

 

              Petites saucisses aux herbes de Provence, brochettes de poulet saupoudré de curry  (à peine afin de ne pas briser le goût du vin), viande rouge de bœuf avec, ai-je cru entendre, un soupçon de piment (mais le bœuf et moi sommes malheureusement et, j’espère momentanément, fâchés, malgré que j’en ai, à cause d’une folle histoire de rentabilité…). J’ai remplis un peu plus que d’habitude mon verre : la modération est toujours présente en mon esprit, que la gendarmerie se rasure, mais elle ne doit tout de même pas ternir un tel moment de culture !

 

               Le summum n’est pas loin. Alors que trop souvent dans les repas, l’on omet le fromage ou, du moins, on le présente comme un plat facultatif avec lequel on terminera le vin du repas, dans ce haut lieu de la connaissance œnologique c’est avec celui-ci que l’on dégustera le meilleur vin de la soirée : présenté en carafe, servi par une main experte, il se goûte, par exemple, avec un fromage de chèvre frais et cendré ; c’est, en tous cas, la suggestion qui m’est faite.  Elle est parfaite. Chaque gorgée de ce vin-là, d’une année beaucoup plus ancienne et d’un prix que je n’ose imaginer, je la savoure avec la plus grande lenteur : des premières effluves respirées jusqu’au delà de la fatale déglutition, lorsqu’on la sent s’écouler et diffuser encore sa douce et tannique chaleur. J’obtiens un second verre ! Et tandis que je me prépare à me régaler une ultime fois, une dame d’un âge assez honorable et qui eût peut-être fait un excellent millésime, se met à vouloir échanger ses impressions. Son vocabulaire est, sinon judicieux, du moins plus riche que le mien. Mais je ne suis pas ici pour jouer au Bordelais snobinard et après quelques réponses évasives parviens à me replonger, un temps trop bref, dans le ravissement de ces derniers esters, tel un bouquet final.

 

              Tout n’est cependant pas consommé ! Avec une sempiternelle et relative modération (mais la somme de toutes ces modérations serait-elle aussi modérée ?)  j’accepte volontiers une flûte d’un crémant de Bordeaux, issu d’une autre propriété, et qui, bien frais, aux doux pétillement et aux qualités de bon nombre de champagnes simples et agréables, se marie délicieusement avec de petits « canelés » (si vous ne connaissez pas, c’est bien dommage !) et de minces tartelettes au miel et aux noix. J’ai bien remarqué, à côté, de tentants babas au rhum, mais il faut essayer d’être raisonnable.

 

               Je reprends une dernière flûte !

 

              Je n’ai pourtant pas l’intention de faire exploser le malheureux petit ballon du gendarme (si j’arrive à le gonfler – pas le gendarme, bien sûr ; l’on sent bien les effets irrespectueux et délictueux d’une modération qui s’égare). Avant de repartir nous allons visiter les caves profondes et fraîches du château.

 

               Cela dégrisera un peu…

 

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Commentaires

  • Chantal J.

    1 Chantal J. Le dimanche, 19 janvier 2014

    Quelle dextérité scripturale pour décrire aussi longuement et aussi joliment une dégustation de vin dans un château !!
    Musicalité des mots, ironie délicate se mêlent pour le plus grand plaisir, non du palais, mais de l'esprit.
    Franchement, bravo, je me suis régalée à la lecture... à défaut de me régaler de ces mêmes coupes et flûtes...
    ...Garçon, s'il vous plait !... un petit dernier pour la route ?

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