Résistance.

RÉSISTANCE

   

            Ainsi n’étais-je pas seul ! Et même beaucoup d’autres passionnés de la langue française vivaient autour de moi sans que je ne m’en aperçusse ! Mais tous, jusqu’à présent, craignaient de se démarquer dans ce climat de suspicion pour quiconque n’affirme pas son allégeance, sa soumission, ou bien, suivant la catégorie socio-culturelle à laquelle vous pensez appartenir, à une langue de Skakespeare complètement dénaturée par un jargon barbaro-commercial prétentieux,ou bien à un langage quasi-borborigmique au vocabulaire tout autant réduit des tribus zépiennes * de nos cités modernes, pendant désolant des premiers sus-nommés.

           Ainsi, n’est-ce pas en vain que depuis un si long temps je m’intéresse à d’autres temps  passés.

           Ainsi, puis-je honorablement user de temps, de formules, de mots, d’orthographes même, que moult bonnes gens ignorent, ne souhaitent plus connaître et voudraient que l’on oubliât tous en un même ratatinement cérébral assassin de toute Histoire.

           Ainsi, est-ce dans l’ancienne bastide, ironiquement anglaise, de Montpazier qu’un groupe de farfelus mais savants verbieurs  décida-t-il de préparer notre entrée dans le troisième millénaire (en 2001 rappelé-je encore aux malheureux abreuvés d’informations toutes aussi fausses qu’instantanées) par la réhabilitation d’un langage désuet et charmant, aux consonances méconnues et plaisantes.

            Il fallut donc que je passasse par simple hasard devant le rayon si honni des dictionnaires et grammaires d’une librairie où je traîne souvent  pour que, distraitement, mon regard fût accroché par un petit empilement de livres au titre intriguant : Le bar du subjonctif, aperçus-je sur la couverture. Qu’était-ce à dire ?

            Je feuilletai ; j’achetai ; je lus.

           Je me souvins alors de l’époque où, lycéen puis étudiant, j’affectionnais les temps oubliés du subjonctif, les lettres disparues des mots actuels, érodés par une implacable modernité quelque peu contradictoire avec le rôle d’une école obligatoire mais soumise de plus en plus à une éducation où la pédagogie formatrice recule devant une démagogie grossière , les mots effacés, chaque année, des dictionnaires réaménagés au profit de petits nouveaux,  certes plus jeunes et à l’utilité souvent indéniable, mais tellement sûrs d’eux, tellement persuadés que le monde dont ils participent ne peut qu’enfouir inévitablement ses multiples et méconnues richesses, couper ses profondes racines au seul mais implacable grief que notre monde doit être clair, net, efficace et rentable ; un monde programmé par nos rationnels décideurs ; incapables d’accepter cette tolérance humaniste des vieux mots, des anciennes orthographes, des ancestrales nuances ! Incapables de s’affranchir d’une fausse modernité à la stabilité très incertaine.

           Souventefois, me vis-je comme un Don Quichotte ; tel fus-je considéré certainement. Et puis, peu à peu, quittant le monde des études, je dus plier ; mais en apparence. Je fis, dès lors, comme les autres et ne me risquais plus à un écart ni orthographique ni verbal. Bref, tous les mots, toutes les formes que j’avais affectionnés restaient tapis au fond de ma mémoire, à l’abri ; je sentais leur douce et secrète présence. Si je disais ou écrivais, les ans ayant passés et m’ayant éloigné de la cuisine rudimentaire  estudiantine : « Il aurait fallu que tu boives un bon Pomerol avec ce salmis de palombes dont nous avions parlé », je pensais : « Il eût fallu que tu busses un bon Pomerol… » ;  « Tu sais qu’elle à plus de quatre-vingt-dix ans ? » (car les années s’accumulent aussi chez nos aïeux) : « Sais-tu qu’elle a plus de nonante ans ? ». A chaque « rythme » j’imaginais « rhythme », me demandant pourquoi, suivant ce flux simplificateur nous n’écrivions pas plutôt « ritme » ? Mes « crystaux » devenaient bien plus précieux que les leurs et mes « manuscripts » recouvraient enfin leur sens originel. Naturellement, les mauvais plaisants demanderont aux gentes damoiselles si elles purent …

           À chaque tentative de simplifier notre langue par l’élimination de ses accents, de ses doubles consonnes, de ses lettres muettes, bref, de tous ces petits grains de sables qui parsèment nos phrases de petits pièges dans lesquels parfois nous tombons tous, il faut le dire, je souhaiterais que quelqu’un dît que l’on pourrait, au contraire, mieux enseigner ces irrégularités qui toutes ont des explications logiques ou non…  Mais, irrémédiablement, je sens qu’une bonne partie du langage français va subir le triste sort de nos subjonctifs très passés… A ceux qui demandent que nos enfants considèrent comme une quasi seconde langue maternelle cet anglais moulinàventeux, moi, Don qui chutera devant nos grands technocrates désireux du bien du peuple, aimerais bien répondre que l’on devrait plutôt rendre enfin à l’usage les temps inusités ; que l’on devrait reconstituer ceux, apparemment inexistants, de certains verbes : « je closais la porte » n’a rien de plus choquant que de « positiver »,  me semble-t-il ; et le futur du triste verbe « gésir » nous serait fort et malheureusement utile malgré le développement actuel de l’incinération ; que l’on pourrait chercher si dans l’ancien français il n’y eut pas un jour, chez nous aussi, un subjonctif futur.

           N’est-il pas surprenant d’ailleurs, que l’on rejette cette idée d’une langue française  enracinée dans sa culture sous prétexte d’une complexité orthographique inutile, mais que l’on tolère dans les lieux d’éducation scolaire un écriture pour le moins désopilante et sans logique aucune ?

           

            C BO LE FRAN C !

  

 

* J’appelle « zépien » un élève habitant une Zone d’Education Prioritaire (Z.E.P.). ; c’est un tantinet péjoratif, mais je suis certainement très réactionnaire.

 

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