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... et sans papiers.

…ET SANS-PAPIERS.

                       

    

            Dans un jardin, les clandestins abondent : hérissons nocturnes aux museaux fouisseurs ; vieux crapauds aux bonds lourdauds ou grenouilles sautillantes ; petits grillons des soirs d’été ; musaraignes furtives ; courtilières stridentes ; patients vers luisants ; parfois prestes lapins sauvages entraperçus ; de temps en temps, hululement d’une chouette voisine (pas la jolie jeune fille d’à côté…). A peine peut-on les deviner par quelques traces, quelques bruissements rapides. Clandestins, mais admis : touche de campagne dans ces jardins de ville.

            Jusqu’à un certain point, tout de même ! Gare à la taupe et à ses irritants et quotidiens monticules ! L’on veut bien un peu de nature entre les rues et les murs, mais sans débordements incontrôlés. Rien qui gâcherait le beau gazon verdoyant de papy : ni petits tas de terre inesthétiques, ni herbes jaunissantes en plein été, ni même, parfois, pâquerettes disséminées au gré du vent. Ne parlons pas d’horribles pissenlits ou trèfles ! Un beau petit jardin urbain pour de braves retraités méticuleux aux économies bien placées : arrosage systématique, quel que soit le niveau des nappes phréatiques ; tonte bi-hebdomadaire quand, au contraire, l’herbe pousse inconsidérément ; arrachage quotidien de tout végétal importun ; taille parfaite d’arbustes à la hauteur bien calculée ; taille  plus que parfaite de l’indispensable haie plantée contre le mur portant la grille grâce à laquelle on se sent vraiment bien dans un chez soi net et délimité ; ramassage des moindres feuilles chues ; ratissage de tout ; aplatissement d’une timide fourmilière. Bref, la maîtrise complète d’une nature jolie, certes, mais d’une fâcheuse tendance à la sauvageonnerie.

            Une taupe, donc ? Drame effroyable auquel l’on remédiera très vite en usant de moult produits diversement granuleux ou fumigènes afin d’abattre sur le champ – ou plutôt dessous – l’adversaire !     

            Un maigre matou errant et, qui plus est,  scandaleusement nourri par de suspects voisins ? Mort aux rats… et aux chats ; c’est aussi efficace. Et tant pis si vous découvrez, un triste matin, l’un de ses gentils vagabonds allongé dans votre jardin, le souffle court, déjà à moitié raide. Comment aurait-il pu savoir que seuls les chiens du quartier ont d’imprescriptibles droits ? Celui d’aboyer, d’une hargne baveuse, derrière un portail fermé avec grand soin, par chance, lorsque vous vous promenez d’un pas paisible ? Celui de laisser, de-ci de-là, leurs crottes sur les trottoirs des rues adjacentes ? Que seuls quelques rares chats munis du collier protecteur ont l’autorisation de passer à petits pas précautionneux entre ces pavillons et leurs gardiens ?

            Mais quels éclats de rire entendriez-vous si vous racontiez qu’une fois vous fûtes tout à fait désemparé par une méchante taupe qui opérait un labourage méticuleux de votre jardin ? Comment, en effet, protéger ce vague gazon de futur papy que vous deviendrez, sans pour autant exterminer cette inconsciente délinquante aux pattes si efficaces ? Quels hurlements moqueurs et incrédules si vous avouiez que vous prîtes, un beau et tôt matin, un tuyau d’arrosage pour noyer non pas l’animal (on oit, ici, la déception des hardis jardiniers), mais sa galerie – car vous veniez de remarquer, par hasard, parmi la multitude de monticules, que l’un d’entre eux se haussait faiblement mais inexorablement – afin d’obliger ce tunnelier forcené à surgir, tandis que vous le guettiez prêt à le piéger dans un seau (vide : redéception) ? Et qu’ensuite, l’opération brillamment réussie, vous montâtes dans votre voiture avec l’impudente taupe dans le seau pour aller la lâcher dans un grand champ lointain ? A ce niveau de démence, l’on vous enfermerait !

            Quoi ? Tel individu existe-t-il chez nous, brave peuple attaché à ses ancestrales traditions chasseresses, où abattre maintes palombes est aussi naturel que tondre sa pelouse ? Qui, d’ailleurs, n’a jamais envié ces hommes robustes et patients, à l’affût, de longues heures durant, dans une palombière virilement bâtie, tout vêtus de kaki, se tirant, quelquefois, paraît-il, quelques coups de fusils entre eux-mêmes, après avoir tiré un peu trop sur le litron de vin ou de pastis ?

 

 

            Imaginez, alors, ce que l’on pense en ces lieux si paisibles, des sans-papiers humains, de surcroît clandestins !

            Mais imaginez aussi un bon salmis de palombe avec un Pomerol…

 

 

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